Introduction au parcours 3

 

Consolidation du monde théâtral (1930-1970)

Groupe de jeunes filles écoutant la
radio à Loretteville (Québec)

La Crise économique qui frappe à compter de 1929 et sévit en Occident pendant presque toute la décennie 1930 a un impact majeur sur la vie culturelle des Canadiens, notamment sur le théâtre francophone. Préférant les divertissements légers, le public fréquente volontiers les cinémas, les revues de variétés et les spectacles burlesques, plutôt que les grands drames classiques. En 1932, Montréal compte à peine trois théâtres… pour 57 cinémas! Le développement de la radio en français au cours des années 1930, d’abord considéré comme une menace, contribuera de deux manières à raviver l'intérêt pour le théâtre. D’abord, en fournissant du travail aux acteurs, car ce nouveau média assure à nombre d’entre eux leur subsistance grâce aux radio-romans. Il les auréole même parfois d’une certaine « renommée » qui leur permet de se consacrer plus facilement à l’art de la scène. Ensuite, la radio s’avère particulièrement profitable pour les dramaturges, dont plusieurs se mettent à écrire simultanément des sketchs radiophoniques et des pièces de théâtre.

Portrait de Fernand Leduc en Arlequin par
Pierre Gauvreau, 1944. Ces deux artistes québécois
seront parmi les signataires du Refus Global.

Les bouleversements de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) auront des effets directs et indirects sur le monde théâtral, comme en bien d’autres domaines. La période d’après-guerre favorisera les mouvements de population qui, eux-mêmes, stimuleront progressivement la circulation d’idées nouvelles en Occident : anticléricalisme, décolonisation, féminisme, existentialisme et avant-garde artistique, qui transformeront les communautés francophones du Canada. Un nouveau mode de vie, nourri par la croissance économique, voit poindre une volonté d’émancipation. Dès 1948, le Refus global, manifeste publié par un groupe de 16 artistes québécois, dénonce l’ignorance, la peur et la domination du clergé sur le peuple québécois1. Plus tard, un peu partout au Canada s’élèvent des voix réclamant le droit de vivre et de s’épanouir en français. L’État, depuis le gouvernement fédéral jusqu’au pallier municipal, commence à investir des sommes importantes dans la culture et à doter les arts de la scène d’infrastructures durables.

Hélène Loiselle et Gaëtan Labrèche,
acteurs québécois

C’est aussi à cette époque que survient un autre événement majeur : 25 ans après l’arrivée de la radio, la télévision fait son entrée dans le monde culturel des francophones en 1952 avec le début des émissions télévisées de la Société Radio-Canada. Si cette « boîte à images » fait une concurrence redoutable aux arts de la scène, elle s’avère en même temps un formidable catalyseur de la dramaturgie canadienne. La télévision offre un nouvel espace de création et de jeu, ainsi qu’une large diffusion qui permet de rejoindre un public francophone très nombreux et dispersé sur le territoire. En fin de compte, de manière générale, la télévision contribue à améliorer sensiblement la condition des dramaturges, comédiens, décorateurs et metteurs en scène du Canada français, qui ont dorénavant accès à cette importante tribune supplémentaire pour exercer leur art.

Affiche des Belles-sœurs de
Michel Tremblay, Théâtre
du Rideau vert, 1971.

Tout au long des années 1950 couve un feu qui s'amplifie et culmine au tournant des années 1960-1970 : la montée du nationalisme québécois et le désir d’émancipation des autres communautés francophones du Canada. En 1968, Pierre Elliot Trudeau est élu Premier ministre du Canada, René Lévesque fonde le Parti Québécois, André Brassard monte pour la première fois la pièce de Michel Tremblay les Belles-Sœurs et Michèle Lalonde écrit son célèbre poème « Speak White ». En 1971, le film L’Acadie, l’Acadie?!? illustre la lutte des Acadiens pour la reconnaissance de leur identité et Antonine Maillet écrit sa célèbre pièce La Sagouine; pendant ce temps, de jeunes artistes de Sudbury fondent le Théâtre du Nouvel-Ontario, puis la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario en 1972, puis les éditions Prise de Parole en 1973. C’est dans ce contexte de revendication et d’ébullition culturelle que la dramaturgie francophone du Canada connaîtra une véritable explosion.

1 «Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l'écart de l'évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l'histoire quand l'ignorance complète est impraticable.» Paul-Émile Borduas, Le Refus global, Éditions Mythra-Mythe, 1948.