1.1 Faire du théâtre en Nouvelle-France

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Page frontispice du Théâtre de Neptune

Les débuts du théâtre en Amérique française sont, il faut l’admettre, très modestes, même si le Théâtre de Neptune en la Nouvelle-France amorce joliment les choses. Cette pièce en vers composée par Marc Lescarbot en 1606, légère et badine, intègre une certaine couleur locale : des Français habillés en autochtones utilisent quelques mots en micmac et proposent du poisson et du gibier aux chefs de la petite colonie, alors qu’ils sont de retour d'une périlleuse expédition.1 Cette heureuse initiative scénique, qui aurait pu préfigurer une longue tradition théâtrale dans les colonies françaises d’Amérique, demeure cependant isolée. Il faudra attendre le 31 décembre 1646 pour voir une seconde représentation : le Cid de Corneille cette fois, donnée à Québec au magasin de la Compagnie des Cent-Associés.

Le théâtre sert aussi à des fins éducatives et édifiantes. C’est pourquoi cette forme d’expression fait partie dès le départ du programme des écoles fondées à Québec par les jésuites, pour les garçons, et par les ursulines, pour les filles.  Selon la tradition européenne, on y privilégie un sous-genre théâtral appelé « réception », dont le texte est écrit et joué spécialement pour souligner un événement officiel. Par exemple, en 1658, alors qu’il étudie au Collège des jésuites de Québec, René-Louis Chartier de Lotbinière joue dans La Réception de Monseigneur le Vicomte d'Argenson, une saynète écrite par les pères jésuites. Outre ces pièces créées pour honorer la visite d’une personnalité, on monte aussi des « classiques » religieux. En 1668, on joue La Passion de Notre-Seigneur, première véritable représentation dramatique par les élèves du Collège. La pièce est en latin et en langues amérindiennes.

Jean-Baptiste de la Croix de Chevrières,
monseigneur de Saint-Vallier, évêque de Québec

Si les congrégations religieuses font la promotion du théâtre religieux, elles se joignent aux deux premiers évêques de la Nouvelle-France, Mgr de Laval et Mgr de Saint-Vallier, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, pour décrier le théâtre profane. La colonie ne compte alors aucun acteur professionnel et encore moins une troupe de théâtre dûment constituée. Les acteurs font généralement partie de l’entourage du gouverneur de la colonie et ils jouent des pièces de grands auteurs français qui ont connu un succès récent à Paris. Or, le clergé catholique et son chef spirituel, l’évêque, tentent de mettre un frein à ces représentations dont les thématiques frôlent à leurs yeux le sacrilège. L’affrontement entre les autorités civile et religieuse culmine avec l’affaire Tartuffe, une audacieuse pièce de Molière portant sur l’hypocrisie d’un faux bigot, que  le gouverneur Frontenac, protecteur enthousiaste de la scène publique et habitué du palais de Versailles, veut présenter à Québec en 1694. Monseigneur de Saint-Vallier, l'évêque en poste à ce moment, va grassement payer le gouverneur afin que celui-ci renonce à mettre en scène la célèbre pièce. Le grand perdant de cet affrontement spectaculaire sera le théâtre public, que Saint-Vallier interdit peu après dans l'ensemble de la colonie. Cette disgrâce empêchera l'enracinement d'une tradition théâtrale propre au Canada pendant le Régime français, puisque le théâtre sera par la suite relégué aux fêtes privées et ne se pratiquera qu’occasionnellement.

Scène de la déportation des Acadiens
de Grand-Pré en 1755 (détail)

À la même époque, en Acadie, où s’est jouée la toute première pièce de théâtre en 1606, la situation est encore plus tragique. En effet, le processus de fragilisation de la communauté francophone amorcé avec la cession de l’Acadie à l’Angleterre en 1713, culmine en 1755 avec la Déportation de plusieurs milliers d’Acadiens. Plus généralement, pendant une période d’une vingtaine d’années qui s’étend grosso modo de 1750 à 1770, appelée le Grand Dérangement, presque tous les Acadiens changent de lieu de résidence. Ces événements, qui rendent impossible toute forme de vie culturelle organisée, joueront un rôle fondamental dans l'identité acadienne et dans la production théâtrale qui y fleurira au cours des siècles suivants.

1 Lescarbot publie la pièce en 1609 dans son recueil de poèmes Les muses de la Nouvelle-France.

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