1.3 Des années difficiles

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L’auteur de «Colas et Colinette»,
Joseph Quesnel, vers 1808

À compter de 1789, alors que la Révolution française bat son plein, l'Église du Canada réagit vivement à la présentation de pièces de théâtre qui critiquent l’ordre établi, et tout spécialement la religion catholique. Sans surprise, le clergé canadien s’en prend à la troupe des Jeunes Messieurs et au théâtre public en général : plusieurs curés s’insurgent contre ces « gens oisifs de la ville [qui] présentent des comédies la nuit, où il y a des hommes et garçons habillés en femmes et filles » (à cette époque, les rôles féminins sont joués par des hommes). Ils se montrent particulièrement ulcérés par le fait que « les plus considérés et les plus notables de la ville avaient été les premiers à souscrire, et par leur exemple avaient entraîné les autres ». En 1790, le supérieur des récollets, indigné des pièces de musique interprétées dans sa chapelle par les Jeunes Messieurs, dénonce l’opéra Colas et Colinette en chaire1. Par ordre de l'évêque, les curés refusent les sacrements à ceux qui soutiennent les représentations ou qui y assistent!

Théâtre Royal à Montréal, 1804

Dans un premier temps, ces mesures ne semblent pas trop nuire à l’activité des Jeunes Messieurs, qui commencent même à se produire à Québec. En 1791, ils présentent Le Malade imaginaire et L'Avare de Molière ainsi que Le Barbier de Séville de Beaumarchais, à l'étage de la taverne Le Chien d'or, située au 2 rue Buade. La troupe commémore ensuite le premier anniversaire de l'Assemblée nationale du Bas-Canada en présentant… cinq pièces de Molière, ainsi que Le Barbier de Séville de Beaumarchais. La frange aisée de la société canadienne brave les interdits religieux pour aller applaudir ses artistes. Il faut dire que plusieurs notables et gens haut placés soutiennent ouvertement le théâtre. Pourtant, au cours des années suivantes, les productions se raréfient au point où la troupe s’éteint presque totalement.

En 1802, Pierre-Louis Panet parvient à relancer la troupe des Jeunes Messieurs. Le groupe emménage bientôt au Patagonian Theatre, une salle située dans la côte de la Canoterie, à Québec, où l’on présente Le Mariage forcé et Les Plaideurs en 1804-1805. Ils jouent ensuite pendant deux saisons au Théâtre de la rue des Jardins. L’aventure des Jeunes Messieurs prend définitivement fin à Montréal le 16 mai 1817 avec la dernière représentation de Le Fanatisme ou Mahomet le prophète de Voltaire. Cette troupe aura fonctionné de façon intermittente durant 37 ans, de 1780 à 1817. Pendant cette période, ses membres auront défendu la culture française avec ardeur, non seulement comme acteurs, metteurs en scène, dramaturges, musiciens et chanteurs d'opéra, mais aussi à titre d'avocats, de notaires, de députés de l'Assemblée nationale et de membres du Conseil exécutif du Bas-Canada.

1 Pourtant cet opéra a été très bien accueilli par le public et la critique de l’époque; on l’a même monté à quatre reprises en 1805 et 1807. Plus récemment, l’opéra Colas et Colinette a été présenté à dix reprises entre 1963 et 1987, il a même été radiodiffusé, télévisé, et des extraits ont été endisqués en 1968. Un critique new-yorkais écrivait à cette occasion que l’œuvre « dépasse la simple curiosité. […] Elle possède un charme considérable. »

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