2.4 Le théâtre francophone, de la Belle Époque à la Crise

 

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La saison théâtrale à Montréal en pleine activité

Dans les premières décennies du XXe siècle, les salles de spectacle de la province de Québec ouvrent et ferment à un rythme effréné. Cette instabilité ne favorise évidemment pas la longévité des troupes de théâtre locales : il faut donc accueillir des troupes étrangères en tournée… ce qui ne plaît pas toujours à l’assistance. Le Théâtre des Nouveautés (1902-1908), par exemple, tente de présenter du répertoire classique français, mais ne parvient pas à trouver et à fidéliser son public. Sans compter qu’il doit lutter contre un nouveau compétiteur de taille : le cinéma. En effet, l’année 1906 voit l’ouverture du Ouimetoscope à Montréal, où l’on présente des « vues animées », à la suite de quoi les salles de cinéma se mettent à pousser comme des champignons dans la plupart des villes de moyenne et grande importance au Canada. En 1910, le grand écran est devenu un concurrent redoutable et provoque une diminution alarmante de l’assistance aux représentations théâtrales. Pour raviver l’intérêt de la population, on commence à mettre sur pied des festivals d’art dramatique et des concours destinés aux passionnés de la langue française.

«Montcalm et Lévis» :
drame historique (1918)

La Première Guerre mondiale (1914-1918) affecte directement le monde théâtral canadien-français : d’une part, les tournées internationales sont suspendues et, d’autre part, les professionnels français et belges sont obligés de rentrer dans leurs pays respectifs pour contribuer à l’effort de guerre, laissant le champ libre aux artistes et artisans locaux. Quelques drames particulièrement patriotiques datent de cette époque : L'Espionne boche de Joseph-H. Lemay; les Âmes françaises d'Aimé Plamondon (1916); En pleine gloire (1919) et La Belge aux gants noirs (1920) d'Anne-Marie Huguenin-Gleason, notamment. Citons enfin l'étonnant Songe du conscrit d'Alexandre Huot, qui porte sur la délicate question de l'enrôlement obligatoire, une œuvre qui fut joué quatre mois seulement après les émeutes entourant la conscription obligatoire au Québec, en 1917.

Théâtre Bennett à Montréal

La scène théâtrale  – particulièrement dans la Belle Province – s’organisera dès lors surtout en fonction des classes populaires, auxquelles on propose un répertoire résolument léger comme le théâtre de boulevard, le vaudeville, les monologues et le burlesque avec, de temps à autres, des mélodrames populistes1. Les représentations se succèdent à une cadence folle : il n’est pas rare qu’un même spectacle soit présenté en matinée et en soirée pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, la quantité l’emportant sur la qualité. Certains parlent même d’un théâtre pratiqué à la chaîne, comme dans l’industrie. C’est aussi à cette époque qu’un style particulier de spectacle devient très populaire, soit les revues satiriques, truffées de références à l'actualité et agrémentées de chansons et de numéros de danse. Ces revues dominent la scène urbaine québécoise au tournant du siècle et perdureront pendant les décennies suivantes.

Les Sœurs Guédonec, une pièce de Jean-Jacques
Bernard présentée par le Cercle Molière en 1936

Alors que la dramaturgie québécoise entre dans une phase de latence, la situation est un peu meilleure ailleurs au pays. En Ontario, notamment, la tradition théâtrale en français repose sur les épaules de quelques metteurs en scène et directeurs de troupes locales, dont Wilfrid Sanche, Léonard Beaulne, Ernest Saint-Jean et René Provost. Quelques compagnies importantes émergent même au plus de fort de ces années difficiles, comme le Cercle Saint-Jean de Hull-Ottawa qui attire un auditoire considérable et fidèle entre 1910 et 1922. Le plus durable de ces regroupements, le Cercle Molière, est fondé au Manitoba en 1925 par Louis-Philippe Gagnon, André Castelein de la Lande et Raymond Bernier2. L'objectif initial de cette troupe est de produire un théâtre de haut niveau, reflétant la culture et les idées métropolitaines françaises, destiné à un auditoire aussi bien anglophone que francophone. Mais quelles que soient les forces vives qui animent le milieu théâtral francophone, la Crise économique de 1929 viendra bouleverser profondément les arts de la scène d’un bout à l’autre du Canada.

1 Mentionnons le drame de la petite Aurore Gagnon, décédée dans un village du comté de Lotbinière en 1920, à la suite des mauvais traitements que lui a fait subir sa belle-mère, qui inspire la pièce de Henri Rollin et Léon Petitjean Aurore, l’enfant-martyre, qui sera créée en 1921 puis jouée en tournée jusqu’en 1951.

2 Toujours en activité, il s’agit de la plus ancienne troupe de théâtre amateur de langue française du Canada.

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