3.2 Le théâtre clérical progressiste

 

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Représentation de la pièce
«Le malade imaginaire» au Collège
Sainte-Anne à Baie-Sainte-Marie
(Nouvelle-Écosse), 1948

Le théâtre du premier tiers du XXe siècle, tout particulièrement le vaudeville et le burlesque, est perçu par l’Église catholique comme une menace. Pétris d’influences étrangères, ces divertissements populaires affichent une moralité fort discutable et s’inscrit dans une logique commerciale jugée malsaine. On leur reproche particulièrement le cabotinage des acteurs… et le mauvais goût du public. Certains ecclésiastiques croient pourtant que cet « art mangeur d’âme », le théâtre, pourrait servir à des fins éducatives et édifiantes s’il était entre bonnes mains. Les années 1930 seront donc marquées par la résurgence du théâtre religieux didactique, qui sort des établissements d'enseignement pour se produire sur les grandes scènes publiques.

Le père Émile Legault,
auteur dramatique et
metteur en scène, fondateur
des Compagnons de Saint-Laurent, 1953

Certains religieux s’avèrent des auteurs et metteurs en scène prolifiques. Au Nouveau-Brunswick, les œuvres militantes du prêtre James Branch, premier dramaturge natif de l'Acadie, influenceront beaucoup le théâtre francophone. Ses trois pièces les plus connues sont écrites et présentées avant son ordination, alors qu'il est encore étudiant au Collège du Sacré-Cœur de Bathurst : L'Émigrant acadien (1929), Jusqu'à la mort pour nos écoles (1929) et Vivent nos écoles catholiques! ou La Résistance de Caraquet (1932). Dans ce même collège de Bathurst, le père Joseph Thomas monte de trois à quatre pièces par année entre 1930 et 1940. En 1949, les Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph ouvrent le Collège Maillet à Saint-Basile, au Nouveau-Brunswick : cet établissement devient un centre culturel mettant à l’honneur la musique, le chant, l’art dramatique, le ballet et le folklore. De leur côté, les membres du clergé de l’Ouest canadien, notamment de la Saskatchewan, utilisent aussi le théâtre comme outil pédagogique, mais sans y imposer de fins trop ouvertement utilitaires ou pratiques1. Au Québec, les pères Laurent Tremblay, Georges-Henri d'Auteuil et Gustave Lamarche montrent également beaucoup de dynamisme, ce dernier s'imposant même comme l’un des dramaturges les plus remarquables de l'histoire du Canada français. Ses spectacles à grand déploiement d'inspiration médiévale, notamment La Défaite de l'enfer (1938), Notre-Dame-des-Neiges (1942) et Notre-Dame-de-la-Couronne (1947), présentés à Montréal, font intervenir des centaines de comédiens et attirent des milliers de spectateurs à chaque représentation!

Les Compagnons de Saint-Laurent, 21 octobre 1951

L’un des dramaturges ecclésiastiques les plus célèbres au Canada français, en cette première moitié du XXe siècle, est cependant le père Émile Legault, fondateur de la troupe montréalaise Les Compagnons de Saint-Laurent (1937-1952). Cette compagnie, dans la plus pure tradition des troupes amateurs des collèges classiques, se donne pour mission d’offrir un théâtre populaire, mais moral et chrétien. En 1938, Legault quitte l’Amérique pour un séjour de sept mois en Europe, dont il revient profondément marqué. Il constate, entre autres, le développement du théâtre d’avant-garde qui s’oppose au naturalisme théâtral, ainsi que le rôle prépondérant du metteur en scène. Pendant plus de 15 ans, il fera découvrir au public québécois un théâtre chrétien et profane, avant de s’ouvrir au classique et au romantique puis, finalement, au théâtre moderne et contemporain français et international. L’une des réalisations les plus manifestes de cette période est certainement Le Soir des rois de Shakespeare, monté en 1946 avec des décors et des costumes du peintre Alfred Pellan.

Les spectacles des Compagnons de Saint-Laurent seront bien reçus par la critique et par le public. La troupe se méritera même le trophée Bessborought de la meilleure troupe de théâtre au Canada et devra déménager à plusieurs reprises dans des salles toujours plus grandes afin d’accommoder des spectateurs de plus en plus nombreux et des productions de plus grande ampleur2. En 1947, la troupe devient professionnelle et franchit alors une étape importante qui transforme son fonctionnement. Jusque là, le père Legault préférait que les Compagnons soit une troupe d’amateurs, afin de mettre à l’avant-plan l’amour de l’art et d’éviter les pièges du vedettariat et de la commercialisation. Mais plusieurs de ses membres veulent faire du théâtre leur profession. D’ailleurs, au tournant des années 1950, plusieurs artistes et artisans formés au sein des Compagnons de Saint-Laurent commencent à rayonner sur d’autres scènes et participent à l’émancipation culturelle des Canadiens français qui se manifeste tout particulièrement au théâtre. Le père Legault met fin à cette aventure marquante en 19523.

Françoise Faucher, Jean Gascon et Denise Pelletier

Les Compagnons de Saint-Laurent auront cependant offert une précieuse expérience à toute une génération de comédiens et comédiennes, décorateurs et costumiers, qui influenceront par la suite les arts de la scène canadiens, et surtout québécois. Mentionnons Jean-Louis Roux, Jean Gascon, Guy Provost, Denise Pelletier, Françoise Faucher, Huguette Oligny, Jean Duceppe, Félix Leclerc, Jacques Létourneau, Lionel Villeneuve, Hélène Loiselle, Jacques Languirand, Alfred Pellan, et bien d’autres.

Au tournant des années 1940 et 1950, le théâtre professionnel canadien-français prend son envol.

1 « Dans de nombreuses petites communautés fransaskoises, des familles dont les membres étaient passionnés du théâtre et, dans d'autres familles, de la musique. Ce qui « caractérise … l'activité théâtrale dans cette province, plus que des objectifs pratiques ou utilitaires, c'est la joie de collaborer ensemble dans une soirée de variétés, une création ou une production dramatique ». http://musee.societehisto.com.

2 Ainsi, ils joueront au Collège de Saint-Laurent (1938-1942) avant de passer à L'Ermitage (1942-1945), au Gésù (1945-1948) et enfin au Théâtre des Compagnons (1948-1952).

3 Même si le père Legault propose une vision très moderne du théâtre, il demeure attaché aux valeurs que défend l’Église et demeure un de ses représentants. Or, la société québécoise de l’après Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) est en pleine transformation et les artistes, notamment de théâtre, sont à l’avant-garde du mouvement d’émancipation qui marquera les décennies suivantes. Après la dissolution des Compagnons, en 1952, le père Legault écrira des textes dramatiques à caractère religieux et il sera correspondant à Rome pour Radio-Canada pendant le concile Vatican II.

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