La complainte des hivers rouges (1978),
écrite et interprétée par Roland Lepage
avec Denise Dubois, Rémy Girard, Germain
Houde, Gaston Hubert, Denis Mailloux,
Monique Mercure, Léo Munger, Marie Tifo.
Mise en scène de Michelle Rossignol.
Le dernier tiers du XXe siècle est marqué, dans plusieurs pays occidentaux, par un profond vent de changement touchant tous les aspects de la société. L’essor du féminisme favorise l’éclosion de la créativité artistique féminine, tandis que l’affirmation du sentiment identitaire de plusieurs communautés francophones du Canada polarise le débat politique et stimule la création artistique.
Sous l’impulsion de René Lévesque, le Parti québécois fondé en 1968 prend le pouvoir en 1976, avec le mandat d’introduire plusieurs réformes institutionnelles et législatives, de protéger la langue française et d’organiser un référendum sur l’indépendance du Québec. De nombreux membres de la communauté artistique québécoise soutiennent la cause souverainiste et la dramaturgie, notamment, se fait porteuse de cette aspiration nationale.
La Cuisine de la poésie, organisée par
le Théâtre de la Vieille 17, le CRCCF
et l’Université d’Ottawa, 14 novembre
1980. Jean Marc Dalpé, Anne-Marie
Cadieux, Hélène Bernier, Robert
Bellefeuille et, à l’arrière-plan,
Robert Dickson.
En Acadie règne également une grande effervescence culturelle, politique et sociale, stimulée par le développement de l’Université de Moncton. Le théâtre reflète ce mouvement avec l’apparition des premiers auteurs dramatiques marquants, notamment Antonine Maillet, et la création des premières troupes professionnelles. À l’ouest du Québec, en Ontario et dans les Prairies, on constate le même vent de changement et de revendication dans les communautés francophones. Il faut dire que la montée du nationalisme québécois, qui s’accompagne de la mise au rancart de la culture « canadienne-française » traditionnelle par les Québécois, provoque une réaction identitaire chez les autres francophones du pays. Les communautés mettent en place de nouvelles institutions culturelles franco-ontariennes, franco-manitobaines, fransaskoises et franco-albertaines pour prendre la parole et concrétiser leur identité propre. Ce mouvement est particulièrement fort en Ontario, notamment avec la création du Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury.
Si les décennies 1960-1970 étaient celles de tous les possibles, la décennie 1980 a plutôt l’effet d’une douche froide. L’échec du référendum au Québec1, la sévère crise économique qui marque le début des années 1980 et le vieillissement de la populeuse cohorte des « baby-boomers » auront un effet déterminant sur l’ensemble de la société canadienne. La création théâtrale s’en trouve affectée. Plusieurs auteurs dramatiques du Canada français, qui avaient largement mis en scène des thèmes liés à l’identité, à la culture et à la langue, entrent alors dans une phase de remise en question. Les thèmes traités au théâtre se feront plus individuels et psychologiques, voire introspectifs.
Scène de la pièce Petite
histoire de poux, 1989
La scénographie et les formes théâtrales connaissent également une profonde transformation. Du respect fidèle au texte de l’auteur mis en scène selon des conventions bien ancrées dans la tradition, on passe à un véritable éclatement des genres et des approches. Le dernier quart du XXe siècle voit émerger et se définir la création collective, le théâtre féministe, l’improvisation, le théâtre pour enfants, le théâtre de marionnettes, le théâtre d’été, tandis que les dispositions de salle et les mises en scène se font plus audacieuses et novatrices, alimentées par les nouvelles technologies multimédias.
Enfin, en plus de ces diverses formes d’évolution, le monde théâtral du Canada français est touché par un phénomène en forte expansion au tournant des XXe siècle et XXIe siècles, soit l’immigration francophone. De nouveaux auteurs provenant d’Extrême-Orient, du Maghreb, de l’Afrique noire et des Antilles influencent et enrichissent la dramaturgie d’ici. Bref, l’univers du théâtre en français au Canada continue de se renouveler et se diversifier considérablement !
1 Rappelons qu’en 1980, la population du Québec est invitée à se prononcer sur la conduite de négociations menant à une nouvelle forme de partenariat avec le Canada, qui aurait conféré au Québec le statut d’un état souverain. La population du Québec a clairement répondu « non » à cette proposition.